Auteurs : Barès Serena et Berthelemy Jean-Claude
Auteurs : Barès Serena et Berthelemy Jean-Claude
Les évaluations courantes des projets d’électrification décentralisée ne permettent en général pas de prouver leurs impacts, et pour ce faire il faudrait mener des travaux couteux et longs à réaliser car nécessitant des informations nombreuses et détaillées non seulement dans les localités équipées mais aussi dans des localités témoins. Pourtant des preuves d’impacts sont essentielles pour aider à la prise de décision des décideurs publics, nationaux mais aussi parfois internationaux, pour un passage à l’échelle de ces solutions.
Pour Entreprenante Afrique nous présentons en quatre articles les Cafés Lumière à Madagascar d’Electriciens sans frontières et comparons les résultats de différentes méthodes d’évaluation alternatives réalisées à des coûts abordables pour tester et évaluer l’existence d’impacts positifs du projet sur les objectifs de développement durable. Dans ce deuxième volet, nous explorons la possibilité de tester la présence d’impacts à partir de données de télédétection, en général peu couteuses à mobiliser.
La télédétection repose sur l’imagerie satellitaire disponible à des degrés de granularité très fins sur la quasi-totalité du globe et accessible presque en temps réel et à faible coût pour un certain nombre de phénomènes terrestres mesurables et signifiants pour étudier les activités humaines. En ce qui concerne l’impact des projets d’électrification, la mesure par imagerie satellitaire de la luminosité nocturne peut être utilisée pour des études d’impact, dès lors que l’on a acquis une bonne expérience de l’interprétation de ces données. Il a été montré de manière répétée que l’augmentation de la luminosité nocturne est un bon corrélat des progrès de l’électrification au cours du temps, y compris à des niveaux fins de granularité (voir Berthélemy, 2022, dans The Conversation). Il est même considéré que l’augmentation de la luminosité nocturne est un reflet de la croissance de l’activité économique (Hu and Yao (2022).
Toutefois, les détracteurs de cette nouvelle approche utilisant l’observation de phénomènes naturels corrélés partiellement aux conséquences des activités humaines présente un risque de biais d’évaluation. Dans notre cas, la luminosité nocturne, par définition, mesure la lumière produite la nuit par de l’éclairage, notamment l’éclairage public, mais n’a pas de rapport direct avec la consommation totale d’électricité dont elle représente généralement une faible fraction, et encore moins avec ses effets sur le développement socio-économique. Si l’éclairage public pourrait avoir un impact sur la sécurité, et donc aussi sur l’activité économique, il ne saurait refléter qu’une fraction des conséquences de l’électrification sur les activités humaines.
La luminosité nocturne permet une détection d’impacts de l’électrification pratiquement en temps réel. Pour illustrer ce propos nous avons calculé la luminosité nocturne moyenne annuelle pour les 6 localités équipées et pour 6 localités comparables mais non-équipées, choisies par Electriciens sans frontières par tirage au sort pour former un groupe traité et un groupe témoin.
Les données ont été analysées en prenant en compte les contraintes suivantes :
Figure 1. Évaluation de la luminosité nocturne (moyennes annuelles 2013-2022) dans les localités équipées et non équipées (radiance mesurée en w/cm2_sr)
La Figure 1 montre une évolution parallèle de la luminosité nocturne moyenne des 6 villages équipés et de celle des 6 villages témoins jusqu‘en 2020, le premier groupe présentant au contraire des performances meilleures en 2021 et 2022. L’écart est d’environ 10% par rapport aux données antérieures, ce qui n’est pas très élevé compte tenu du faible niveau initial mais est statistiquement très significatif. Notre conclusion de cette Figure 1 est confirmée par un test statistique formellement plus rigoureux, qui utilise les données mensuelles par localité, en contrôlant pour les effets de la saisonnalité et des effets fixes propres à chaque localité traitée ou non traitée. La mise en route du mini-réseau conduit à une augmentation de la luminosité nocturne comparable à celle révélée par la Figure 1 et statistiquement très significative.
Les craintes d’un biais dû à la présence de l’éclairage public ne sont potentiellement justifiées que dans le cas de 2 localités sur 6 (Ambatonikolahy et Talata Dondonna). Ces craintes ne sont pas totalement justifiées. En effet, quand on essaie de prendre en compte conjointement la présence du mini-réseau et celle de l’éclairage public, cette dernière n’a aucun effet significatif. De plus quand on estime le même modèle en excluant ces 2 localités, les résultats obtenus, s’agissant de la significativité de l’impact des mini-réseaux, ne changent pas.
L’éclairage public n’a pas d’effet significatif dans nos tests, mais cela veut dire seulement qu’on ne peut pas démontrer qu’il en a un, ce qui est peut être dû à une faible puissance des tests statistiques mis en œuvre. De plus le biais peut exister à Ambatonikolahy et à Talata Dondona.
Nous avons mobilisé les données de l’opérateur Anka, qui reporte mois par mois les différentes composantes de la consommation d’électricité, en séparant la consommation pour l’éclairage public des autres consommations d’électricité, sachant que l’éclairage public créé a priori beaucoup plus de radiance, et donc de luminosité nocturne, que les autres consommations d’électricité. Cette propriété est amplement vérifiée dans nos données, et cela nous permet de calculer un ordre de grandeur du biais contenu dans les données de pour évaluer l’accès à l’électricité en présence d’éclairage public en milieu de nuit. Pour Ambatonikolahy et Talata Dondona, ce biais est de l’ordre de 40% en année pleine (2022). Il est donc souhaitable, quand cela est possible, de mobiliser des données complémentaires pour évaluer les impacts des mini-réseaux, ce que nous ferons dans les prochaines livraisons de ce blog.
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